Ciel fermé.
Il n’y a pas si longtemps, je patientais, encore, devant l’entrée de mon bureau, effrayé à l’idée de rentrer à l’intérieur et de voir tous mes collègues. Je me refusais l’accès à ma vie professionnelle, je n’arrivais plus à arriver à l’heure, je ne parlais plus à personne, je me retenais de parler à qui que ce soit, ma voix fut coupée pendant un bon moment de ma vie. L’idée même de devoir parler de mon travail me bloquait, je devenais rouge et je cachais ma tête comme une honte de devoir m’exprimer. Je détestais ça. Je ne ressentais pas le besoin d’avoir à raconter les moments passés, les histoires critiques de ma vie, telle qu’elle se concevait. Je sus bien plus tard que ma petite sœur était devenue, elle aussi architecte et qu’elle avait quitté le pays. Je ne parlais jamais de ma famille, elle était resté figée, en moi, comme une photographie, une seule conception de ce que je pus penser d’elle. Flou et froid, incorrect, malpropres, ces simples mots comme représentation de l’environnement où j’eus grandi, où j’ai été forcé à grandir. Il y avait, un grand désir de me voir disparaître, d’arriver à n’être qu’inconnu aux yeux du monde, aux yeux de tous ceux qui croyaient en moi, j’étais comme soulagé que personne ne veuille s’intéresser à moi.
Je me sentais étranger.
Je suis resté dehors toute la journée. J’ai passé deux heures, dans le froid, à attendre que ma mère m’ouvre la porte. Ma mère m’a mis dehors, elle était confuse, je n’ai rien compris à ce qu’elle m’a dit, elle a zézayé pendant cinq minutes expliquant ce qu’elle avait dans le crâne, ramener mon père sur le tapis, m’a rappelé que je lui cachais des choses, mes secrets, mes projets. Elle avait une attitude catégorique.
Bonne rupture, un choc. Je n’ai rien compris. Je n’étais plus là. Entre elle et moi, pendant toutes ces années, il n’y a eu aucune facilité, chaque chose pesait, chaque remarque demandait réflexion, une impossibilité d’écouter un autre avis, une synthèse détaillée à chaque parole, un carnage pour chaque phrase, une importance à chaque mot.
Ma mère. C’est bien de là qu’ont commencé tous mes soucis. Elle a cessé d’être drôle pour changer son rire en grimace, son ton ironique en humour noir.
Nous nous sommes construit un monde à part et nous n’avons jamais eu la curiosité de plonger dans l’univers de l’autre. Nous étions désormais une mauvaise caricature entre une mère et son fils, une pulsion de pitié de la voir couler sous mes yeux. C’est assez triste de voir sa vie disparaître.
Mes sentiments sont vagues, les siens sont concrets, mon cœur est indécis, le sien est tranchant.
Non, non, ma vie est efficace, ma vie peut servir, je peux me tourner vers mes rêves, ma mère n’en a plus, elle doit se dire que son histoire ne sert plus, elle sait qu’elle doit tout reconstruire et elle n’en est plus capable. Pourtant elle ressent encore ce qu’elle endure, elle peut percevoir, palper. Sa vie est ouverte, mais, elle a dépassé le stade du moyen de savoir comment elle pourrait se rendre heureuse, la peine à transgresser, au point de devenir angoisse face à quoi que ce soit qui puisse l’animer. Elle aurait pu chanter et rougir devant la scène, réciter des textes qu’elle aurait appris à point, un enchantement de la voir se découvrir, devant des personnes venues l’applaudir.
La brume cache son visage, le temps est meurtrier, il brise ses derniers instants et les rend fatals. Pourtant, pendant ces quelques minutes de ma vie et de la sienne, les mots ont fini par éclater pour se dissimuler en moi, je ne souhaitais pas qu’ils viennent, ils n’auraient pas du sortir et du moins devant moi, j’ai attendu patiemment dans le couloir qu’elle se calme. Une foutue malédiction que peuvent être ces mots et une certaine douceur dont je puisse me retrouver seul avec eux. J’ai allumé une cigarette alors que je n’avais pas le droit. Au café, j’ai essayé de penser à autre chose, j’étais prêt à fumer sans retenue et finalement, tout à fait pour que je revienne à elle. L’ennui et la culpabilité, l’ennui surtout.
Ma mère dormait quand je suis rentré, tête baissée sur le canapé, j’ai regardé les mille et une nuit et j’ai ronflé, jusqu’à 9 heures du matin.
Lucy sentait la friture, elle travailla au restaurant toute la journée, elle sentit les mains baladeuses sous sa jupe, les pourboires bien garnis, les chewing-gums sous les chaises, les factures impayées, les plats qui ne venaient plus et, bien sûr, les livraisons du matin. Un casse-tête ces livraisons. Il faut signer le document, attendre que tout soit rangé, dire merci, se rincer le visage dans les toilettes, aider à la deuxième livraison, redire merci, signer un nouveau papier. Elle n’arrive plus à dormir. Son insomnie me met mal à l’aise, elle peut surgir devant ma porte à n’importe quelle heure et je suis obligé de l’accueillir les bras ouverts, moi qui rêve de ma future carrière de réalisateur, une jolie assistante qui gâche mon plan en l’embellissant par son derrière et qui me prépare du bouillon alors que j’ai attrapé froid par l’orage qui a arrêté brusquement mon film et de voir son sourire couvrir la pluie, rendre ingrat ses nuages dépendant de l’irrévocable tempête. Lucy qui sent la friture et qui dégouline de maquillages parce qu’il neigeait et que ses cheveux trempés se collaient à mon torse tout chaud, sa mine douce et sereine, de se retrouver à côté de moi, comme un désir qu’elle convoitait.
Bien qu’elle a commencé à se rapprocher de moi, j’éprouvais une réticence inéluctable pour elle et j’ai cherché dans ses yeux le seul moyen de la dissuader d’aller plus loin, bien sûr, elle n’a pas compris et a continué son petit jeu, se frottant doucement contre moi, me caressant les cheveux en appuyant sur mes mèches brunes et en les tirant légèrement, je gémissais en silence, mes yeux contemplaient les murs d’images et d’un coup, mon corps se mélangea au sien. Comme une grande scène de cinéma, je lui ai attrapé les jambes et je l’ai tiré vers moi. Elle me donna des claques, secoua ma tête, insulta ma mère et griffa mon torse de toutes ses forces si bien que ces petites marques rouges furent si profondes qu’elles ne voulurent partir. Dans ces moments, je sentais la solitude me prendre et je fus soudain agacé de me retrouver seul avec elle.
Les poires, les prunes, les pêches et toutes les senteurs du monde attrapaient mes maux pour les emmener vers un endroit inconnu, qui n’était pas aussi pure qu’il pouvait sembler paraître. Elle était aussi belle qu’une vieille photo, le bleu nuit derrière ses yeux la glorifiait.
L’amour a frappé a ma porte, une fois. Une boutique vide où les gens ne faisaient que passer, le ciel enfoncer contre le plafond, elle était prête à partir, elle me pressait vers le fond de cette petite boutique.
Dans mes mensonges qui s’animent, la nuit, des hommes nus me cherchent, il y en a de toute taille.
Un silence parfait, des découpages dans le vide, ma main qui se retire, un dernier verre avant de partir.
Un monstre que j’ai admis dans ma tête, il pousse et grandit bien trop vite, sa tête est bien ronde et avec sa bouche, il avale mes ombres, mes vices, elle en faisait partie.
Le beau et le laid, enfermés dans un sac en papier, mélangés avec les pétales de la vie. Pauvre petit ange de mes tourments, tu m’espionnes jour et nuit sur ton lit de soie, mais tu n’arriveras pas à me faire fondre en larmes. Petit oiseau qui flotte contre moi, insolent sur les bouts de verre, aucune couleur sur tes ailes, un bruit qui ne fonctionne plus.
Je vois ton sourire dans l’obscurité, je vois les armes dissimulées, qui ruissellent sous le vent de minuit, je sens ton cœur qui bat contre moi, je sais que l’on se reverra.
Dans la petite chambre, je l’ai écouté chanter, je dormais à moitié, la couverture sur une partie de mon corps, alors, tiède et sans mouvement, je pensais à la mauvaise fille et aux nouveaux sons qui vibraient en moi, je voulais tout arrêter.
Oui, ma vie peut servir, je me le répétais, comme une certitude.
J’avais de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts et au son de sa voix, j’ai commencé à rêver.
Dans un avion survolant la mer, le vent faisait claquer ses cheveux et son odeur envahissait l‘atmosphère, la crainte de tomber dans les eaux, le vertige du paysage et l’odeur qui s’imprégnait dans l’air, j’ai retenu mon souffle et je me suis tourné vers elle, on ne s’est jamais aimé, je le sais et pourtant on a toujours voulu être tous les deux. Derrière nous et ces fantasmes, je ferme le couvercle de ce dernier moment passé dans les cieux, pour le jeter à la mer. Le passé ne se cachera jamais, la malédiction dont j’y repense, il faut tout reconstruire, réinventer, je lui tiens la main, nous sommes entourés d’eau. Je m’envole avec le petit oiseau qu’elle a inventé pour me rencontrer, mécanique et rigide, qui chante comme un robot, il nous croit, lui, et il est bien le seul. C’était un bel endroit.
Devant ta maison, je sers le tout contre moi sans m’apercevoir de mon erreur, de la cigarette qui brûle mes doigts, des petites tulipes mal arrosées, des chansons que tu n’as pas osé chanter, tu as frappé à ma vie au mauvais moment, et j’ai écrit le mauvais conte. Une histoire pour enfant qui me déplait qui me fait tourner seule sous la neige, la rage morte, encore en souffrance, je taperais bien le ciel, je lui volerais ce qu’elle m’a pris, j’écraserais ce qu’elle peut ressentir, je ne veux pas connaître la suite.
Ce n’est pas un jour glorieux, je pensais à ma mère et à celle que je n’ai pas osé garder, j’avais honte de ce que j’étais devenu, du personnage loufoque et instable, qui avait pris ma place et qui vivait une vie que je ne voulais pas. Mes tourments sont sales comme les battements de cet oiseau égaré.
Alors, tout d’un coup, Lucy, a disparu de ma vie.
Nous ne nous sommes plus parlés, même pour un court café, nous n’avons pas osé relancer l’autre.
Maintenant elle vit sa vie sans moi et moi la mienne sans elle.
Elle aussi.
Tout va tellement vite maintenant, tout est devenu si simple, j’atterris sur une piste lisse et droite, le bus qui n’a fait qu’être là, klaxonne sans fin et le bruit s’estompe dans mes oreilles. Enfin, seul, sur cette piste mélancolique en attendant la fin du jour.
Elle a attendu sur l’autre piste.
Décadence. Décadence de l’apesanteur, décadence du silence, décadence des envies, décadence des autres, décadence de la musique, décadence des rires.
Elle m’a connu.
Bonjour, ma chair, mon âme, mon autre sang, ma lassitude, mes espoirs, bonjour merveille d’un jour qui n’aurait pas dû se terminer.
Ma naissance n’est pas singulière, mon âme n’est pas belle, elle est brute comme le reste de mon visage. Je venais de comprendre que tout ce qui avait été planifié depuis ma naissance n’avait jamais été aboutis et que les promesses de ma mère se confondaient avec une mélodie sinistre, une rupture de ce que j’ai toujours pensé de moi et de ce que j’étais devenu.
Le seul qui me reste, maintenant, c’est mon chat, il sait quoi regarder, et sa vie ne finira jamais car les animaux ne savent pas qu’ils vont mourir.
La souffrance est un maudit poison qui se vide dans le fond de ma chair.
La souffrance ne me laisse que les drames de la vie, c’est une irrémédiable fatalité qui ne me lâchera pas.
Dommage que ce ne sois plus que du mépris. Plus que des choses tièdes. Que de moroses caresses. Que le bruit en silence. Que le silence en action. Un ralenti discret, des visages méconnaissables, je les contourne quand je suis seul, je ne veux plus les regarder.
Ce jour n’est plus qu’un, les vieux jours en un seul. Ce jour n’étais plus qu’un. Plus rien. Et de ce jour il ne restera plus que des filaments de fantaisie. Un jour sur la mer. Comme rien d’autre au monde. Moi seul.
Moi contre tout, contre moi-même, sans plus savoir ou je vais et ou je suis.
Moi, elle m’a laissé, moi et le monde. Oui.
Moi et le ciel qui bouge. Moi et les femmes avides. Moi et le tremblement des feuilles. Moi et le masque que tout le monde s’obstine à porter. Moi et mon boulot. Moi et le reste. Il n’y a pas de reste. Il n’y a jamais eu de reste.
Elle était le reste.
Ma mère m’a souri aujourd’hui, elle a rencontré quelqu’un, elle est enfin heureuse. Je suis heureux pour elle.